Joindre les mains et prier
Tout a encore un air de Noël. Les guirlandes clignotent. Le sapin a toujours fière allure dans un coin du salon. Elle est assise en face de moi et dans cet entre-deux de Noël et Nouvel An, nous évoquons nos batailles. Elle contre le cancer, moi contre le temps qui passe trop vite.
« Tu sais, me dit-elle doucement, il y a quelques mois, tu m’as envoyé un message pour me dire que tu pensais que le décès d’Anne m’avait affectée et que tu priais pour moi. Je n’ai pas vraiment répondu. Mais oui, j’ai été affectée, et je le suis encore ».
Nos regards se croisent à travers les larmes. Je n’ai pas connu Anne. J’avais juste compris au travers de quelques bribes combien elle avait pu compter pour celles et ceux qui l’avaient rencontrée.
Mes enfants jouent dans un coin de la pièce et leur joyeux remue-ménage se mêle à notre conversation.
Elle continue : « J’ai prié pour Anne. Pour sa guérison. J’ai prié comme une folle. Et j’étais sûre que sa guérison était un moyen de manifester à tous la grandeur et la gloire de Dieu. J’étais certaine que Dieu exaucerait cette prière. J’ai prié le matin de sa mort. Et puis j’ai su qu’elle était partie… ».
Elle s’arrête. Son visage est très beau. Elle porte un foulard coloré sur la tête pour cacher les effets de la chimiothérapie. Et j’imagine mon amie, priant de toutes ses forces pour son amie, atteinte du même mal qu’elle. Ce mal qui nous ramène constamment à notre finitude, à nos limites, à notre mortalité.
« J’étais sûre que Dieu interviendrait. Et elle est morte. Je n’ai pas compris pourquoi il avait permis cela. Pourquoi il n’exauçait pas ma prière. Nos prières. »
Ouvrir les mains et accepter
Mes larmes coulent en l’écoutant. Moi aussi j’avais prié pour cette femme qui m’était inconnue. J’ai envie de lui dire combien c’est beau l’Église : des gens qui prient pour d’autres sans se connaître vraiment, mais simplement parce qu’ils ont le même Dieu et la même espérance. Mais elle reprend :
« Et puis, j’ai été au culte d’adieu. Tu aurais dû voir cette église, pleine de gens. Des amis, des collègues, des ados, des connaissances, des chrétiens, des non croyants… tous mélangés. Nous étions debout, car la place manquait. Et là j’ai compris ». Elle s’arrête un instant. Difficile de mettre en mots ce qu’elle a saisi de Dieu ce jour-là.
« Le témoignage d’Anne avait été rendu encore plus vibrant, plus vivant d’une certaine manière par sa mort. »
Mon amie avait prié pour que la gloire de Dieu se manifeste et Dieu avait exaucé cette prière… mais d’une manière tellement plus douloureuse qu’elle ne l’avait souhaité.
Les enfants chahutent, mais au milieu de ces rires bruyants, le silence nous enveloppe. Je suis émue de voir le courage de mon amie qui accepte la réponse de Dieu à ses prières. Qui ouvre ses mains plutôt que de lever son poing. Qui dit : « Que ta volonté soit faite ».
Lever les yeux et adorer
C’était Noël et c’était étrange de parler si profondément de choses tristes. Pourtant, à Noël, la maladie ne s’arrête pas. Je suis sûre que certains d’entre vous ressentent que nous sommes invités à mettre de côté, pendant les fêtes, les situations difficiles, tristes ou angoissantes. Une sorte de parenthèse, comme si le quotidien se figeait, que la maladie faisait une pause. Je pense, au contraire, que les fêtes sont des occasions privilégiées pour évoquer nos difficultés, nos obstacles, nos moments de troubles et pour joindre nos mains en prière afin de déposer devant Dieu nos peurs.
L’évocation de cette Église trop pleine pour recevoir encore des gens lors des funérailles d’Anne me renvoie au commencement de l’Évangile. Une église trop pleine, une maison trop pleine. Et comme les mages ont déposé aux pieds de Jésus leurs cadeaux, je dépose chaque jour à ses pieds mon fardeau. Un fardeau en forme de prière : je demande que mon amie puisse être guérie, comme elle aussi l’avait demandé pour Anne. Et je sais qu’entre cadeaux et fardeaux, Jésus gère et que sa réponse est toujours, toujours la meilleure.
Restée seule, je médite ce verset : « Pendant sa vie terrestre, Christ a présenté avec de grands cris et avec larmes des prières et des supplications à celui qui pouvait le sauver de la mort, et il a été exaucé à cause de sa piété. » (Heb 5.7)
Je me suis souvent demandé où était l’exaucement dans la mort de Jésus, mais j’entrevois aujourd’hui que derrière la mort, il y a la résurrection ; que derrière les ténèbres luit une grande lumière. L’exaucement de la prière de Jésus devait passer par la mort pour briller plus fort. Et je perçois de manière plus prégnante combien ma vision de choses est limitée et combien celle de Dieu est énormément plus vaste.
Dans ce temps d’après fêtes, cette réalité me pousse à lever les yeux vers celui qui a toujours la meilleure réponse — aussi douloureuse soit-elle —, à l’adorer et à persévérer dans la prière.
Miryam Lott