Au début il comptait les jours.
Puis les semaines. Puis les mois.
Et les mois sont devenus des années.
Tout ce temps passé à fixer ses pieds, ses jambes, ses membres, à espérer un miracle, au moins une petite amélioration, puis à se résoudre à accepter l’irrémédiable : il ne pourra plus jamais marcher.
Paralysé. C’est ainsi que les Evangiles le nomment : « l’homme paralytique » ou « l’homme paralysé ». Comment s’appelle-t-il ? Quel âge a-t-il ? Est-il paralysé depuis la naissance, ou est-ce arrivé plus tard ? Est-il tombé du toit alors qu’il jouait à cache-cache avec ses amis en grimpant par l’escalier extérieur de sa maison ? Ou bien a-t-il commencé à ressentir des fourmillements dans ses jambes peu après son mariage, sensations désagréables qui se sont amplifiées au fil des jours jusqu’à devenir une paraplégie contre laquelle il n’existait aucun remède ?
A-t-il une famille ? Qui pourvoit à ses besoins ?
Nous n’avons que peu de détails de la vie de cet homme, mais nous savons qu’un jour, il a entendu parler de ce rabbin « faiseur de miracles », de passage à Capernaüm (Marc 2:1-11). Certainement sa famille, ses voisins ou ses amis lui ont rapporté toutes les nouvelles extraordinaires qui se transmettaient d’un bout à l’autre de la ville : « La semaine dernière, cet homme a guéri un lépreux ! Il a même osé le toucher ! », « la belle-mère de Simon est de nouveau en pleine forme, elle qui paraissait si mal en point ! ».
Qu’a-t-il pensé à l’écoute de ces récits ? Les a-t-il balayés de la main d’un air indifférent, peu enclin à croire ces ragots de village ? Ses pensées se sont-elles à nouveau remplies de rage envers ce Dieu qui n’avait même pas daigné lever le petit doigt pour arranger sa situation ? S’est-il retiré dans sa chambre, bien décidé à ne plus jamais laisser l’espoir envahir son âme ? Ou bien son coeur s’est-il mis à battre un peu plus vite en entendant ses amis lui raconter miracle après miracle, guérison après guérison ?
« Et si on t’emmenait voir ce rabbin ? »
J’imagine l’un de ses amis, son beau-frère ou son voisin peut-être, lui proposer d’aller à la rencontre de Jésus :
– Et si cet homme pouvait faire quelque chose pour toi ?
– Comment veux-tu que j’aille le voir ? Je suis coincé ici, au cas où tu l’aurais oublié. Et il n’acceptera jamais de se déplacer jusqu’à moi, il a l’air bien trop occupé…
– Je peux demander à Lévi, Nathan et Siméon de venir m’aider à te transporter. On pourrait te glisser sur un brancard et te porter jusqu’à la maison où il se trouve en ce moment. Ce n’est pas loin d’ici !
Je ne sais pas combien de temps cette discussion imaginaire aurait pu durer, ni si l’homme paralysé a hésité longtemps avant d’accepter cette proposition. Ou si c’est lui qui a convaincu ses amis d’entreprendre ce qui me paraît être un acte soit de bravoure, soit de désespoir.
Quoi qu’il en soit, voilà nos cinq hommes qui se dirigent vers la maison bondée où Jésus enseignait : quatre hommes sur leurs deux jambes, transportant un homme handicapé sur une civière. Cinq hommes déterminés à affronter la foule, le regard des autres, le qu’en dira-t-on, mais aussi leurs propres doutes et la fatalité.
J’imagine l’émoi dans la foule rassemblée autour de Jésus alors que le plafond s’ouvre au-dessus de leurs têtes. J’imagine les murmures d’étonnement puis les exclamations alors qu’un homme étendu sur son lit apparaît aux yeux de tous, probablement suspendu par des cordes et descendu maladroitement jusqu’aux pieds de Jésus. Et puis le silence. Les regards tournés vers cet homme qui ose perturber l’enseignement d’un rabbin et importuner son auditoire
Et j’imagine le regard de Jésus, à l’opposé de ce qu’on pourrait attendre d’une telle interruption : un regard doux, bienveillant, sûrement admiratif face à ce que ces hommes ont entrepris.
La fin de cette histoire vous est certainement familière : Jésus guérit l’homme paralysé ! Non seulement de sa maladie physique, mais aussi (et surtout) de sa maladie spirituelle, le péché.
Ce qui paraît impossible à vue humaine est rendu possible par la main divine. Cet homme rentre chez lui sur ses deux jambes, le coeur infiniment reconnaissant, l’âme apaisée au plus profond de lui-même, son identité rétablie et sa relation avec Dieu restaurée.
La foule est dans l’émerveillement le plus complet, alors que les maîtres de la loi qui assistaient à la scène sont au comble de l’indignation lorsque Jésus, devinant leurs pensées, leur démontre sa puissance et sa divinité.
J’aime ces mots : « Voyant leur foi… » (Marc 2:5, S21).
Jésus remarque non seulement l’homme qui est allongé devant lui, mais aussi ceux qui l’ont amené jusque là.
Jésus accueille non seulement l’histoire de cet homme, mais aussi celle de ceux qui l’ont accompagné.
Jésus répond non seulement à la foi de cet homme, mais aussi à celle de ceux qui, émus de compassion face au sort de leur ami, ont mis de côté leur peur, leur logique, leur raisonnement.
Y’a-t-il quelqu’un en détresse autour de nous ? Quelqu’un qui a besoin d’être placé sous le regard de Jésus ? Quelqu’un à qui les forces manquent pour s’approcher de Dieu ? Quelqu’un atteint par la lassitude et qui n’ose plus déranger Dieu ? Quelqu’un qui a « jeté l’éponge », abandonnant tout espoir d’être entendu par Dieu ?
Et si nous nous levions pour être ceux qui soutiennent, qui accompagnent, qui affrontent les obstacles et passent à l’action dans la prière (car oui, prier, c’est agir !) en faveur de ceux qui en ont besoin ? Et si nous aussi, nous laissions la compassion de Dieu remplir nos coeurs et mettions de côté nos doutes et nos peurs ?
Dans la prière, nous pouvons apporter à Dieu nos fardeaux et ceux de notre entourage. Grâce à l’oeuvre de Christ, nous avons un accès illimité auprès de Dieu, 24h/24 et 7j/7 ! Nous pouvons être assurés que Dieu nous entend, nous écoute, et nous répond, même si parfois sa réponse ne semble pas être celle que nous attendions, comme la première réponse de Jésus faite à la demande silencieuse de l’homme paralysé.
Dieu nous surprend parfois, mais il voit au-delà des besoins que nous exprimons. Ce qu’il fait se révèlera toujours bien plus précieux pour nous. Il s’intéresse avant tout à nos besoins spirituels, car ce sont les plus grands et ceux que nous avons tendance à négliger.
Ses interventions ne se limitent pas à la résolution des problèmes que nous lui soumettons, mais manifestent aussi la venue de son Royaume dans nos vies, dans les vies de ceux pour lesquels nous prions.
Comme les amis de cet homme paralysé, faisons preuve de courage, d’audace dans nos prières.
Ayons une foi inébranlable qui nous pousse à intercéder et à agir en conformité avec la réalité invisible dans laquelle nous avons placé notre confiance. Rappelons-nous que rien n’est impossible au Dieu auquel nous nous adressons, un Dieu capable de sauver et de guérir.
Dieu voit notre foi, si petite soit-elle. Qu’elle soit un encouragement pour ceux qui nous entourent. Et qu’au travers de nos prières, la gloire de Dieu soit manifestée.
Anne Herrenschmidt Kohler